La maison laisse l’architecte en plan
La France moche est un fromage bien gardé par le lobby des constructeurs et le manque de clairvoyance d’élus paresseux. Dessinées par des géomètres (dont ce n’est pas le métier), loties par des promoteurs (attachés à leur marge), les zones pavillonnaires mitent le paysage de leurs petites maisons sans âme. Pourtant, pour le même prix, les maires, les aménageurs, et les particuliers surtout, pourraient s’offrir, en prime, de la matière grise qui magnifie la topographie, l’histoire des lieux, la course du soleil, les points de vue sur l’horizon et les envies des habitants.
Et pourquoi donc les architectes seraient-ils meilleurs ?, se demande le profane. Parce qu’ils ont fait des études ad hoc, déjà, et qu’ils respectent une déontologie qui garantit leur indépendance, comme le rappelle Jean-François Espagno, fondateur d’Architectes d’Aujourd’hui, un réseau national de professionnels spécialisés dans la maison individuelle ou le petit collectif. «C’est une profession libérale réglementée, comme médecin ou avocat. L’architecte est là pour défendre les intérêts de son client, indépendamment des entreprises. Ce dernier point est très important : s’il vérifie les devis et surveille de près les travaux – et peut, le cas échéant, les faire refaire s’ils ne correspondent pas à la qualité requise –, il n’a aucune relation d’argent avec les artisans. Ceux-ci sont payés directement par le client. »
D’accord, mais l’architecte va me coûter une fortune, tremble le futur endetté. « Non. A prestation strictement égale, l’architecte est toujours moins cher ! martèle le pro. Ses honoraires, transparents et établis par contrat, s’élèvent à 12 ou 15 % des travaux HT. La marge d’un constructeur oscille, elle, entre 25 et 35 %. Par conséquent, à dépense égale, l’architecte amènera plus de pertinence, et sera plus à l’écoute de ses clients qu’un constructeur qui fournit un produit standardisé. Formé à l’histoire de l’art, au fait des innovations techniques, il amène une dimension culturelle ou écologique au bâtiment, et pas seulement un artifice de façade. Et au bout, le client aura une “maison d’architecte”, ce qui est une plus-value à la revente.»
Mais si j’en prends un, va-t-il m’imposer des porte-à-faux d’enfer et des matériaux à la mode ?, s’affole le béotien tendance tradi. « L’architecte n’en a pas les moyens : c’est le client qui décide, c’est lui qui signe la demande de permis, les marchés de travaux. Avec un architecte, le client est au courant de tout, il reçoit chaque semaine les comptes-rendus de rendez-vous de chantier, il connaît le prix de chaque prestation, il sait où va son argent, et il peut à tout moment dire : je ne suis pas d’accord. Si on veut gagner la confiance des gens, il ne faut pas avoir peur de tout mettre sur la table. De toute façon, le client peut à tout moment résilier le contrat. Ou l’arrêter à un stade où il se sent de terminer seul les travaux – peintures, carrelage, etc… Alors qu’avec un constructeur, il est obligé de s’engager dés le début sur un projet donné, sans possibilité de corrections. »
Ok, mais comment je le trouve, l’archi qui me comprendra ?, se demande le futur maître d’un ouvrage dont il n’a que des idées imprécises. Bonne question. Il y a près de 30 000 architectes en France… Première piste : aller à leur rencontre, notamment lors des journées portes ouvertes des 3 et 4 juin auxquelles participent 1 192 agences partout en France. En visitant ensuite les maisons qu’ils ont construites, les 10,11, 12 et 17,18,19 juin, grâce à une opération montée par le mensuel A Vivre. Ou en épluchant la page « Trouver un architecte » du site internet du Conseil national de l’Ordre pour connaître ceux qui sont près de chez soi. Ou encore, en se tournant vers des réseaux de professionnels comme Les Architectes d’aujourd’hui ou les Architecteurs (qui, eux, ont la particularité d’être aussi bâtisseurs, ce qui est un mélange des genres un peu discutable). Reste maintenant à bien savoir ce qu’on attend de lui : une suite parentale au 7e ciel ?, un boudoir où bouder ?, un héliport pour se sauver ?…
Source Télérama
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